Il fut « Monsieur cinéma » et « L’Ami public nº 1 ». Le titre cette émission seyait bien à son large sourire et son caractère jovial. Le réalisateur et journaliste Pierre Tchernia est mort à l’âge de 88 ans, a annoncé son agent samedi 8 octobre.
Retracer sa carrière, c’est parcourir soixante ans d’histoire de la télévision, de la RDF (Radiodiffusion française) à la TNT (Télévision numérique terrestre). Comme trois autres Pierre – Desgraupes, Dumayet, Sabbagh –, Tchernia fit partie des pionniers de ce nouveau média qui s’invitait timidement dans les foyers français ; ceux qui, à Cognacq-Jay, associèrent leurs noms aux premiers journaux télévisés en 1949 et multiplièrent les émissions comme auteur, réalisateur et animateur. Pas encore une industrie, tout juste un artisanat. Le jeune cinéphile touche-à-tout s’amusa à inventer en images comment instruire avec légèreté, distraire avec gaîté. Il interpréta des sketchs et anima des jeux pour petits et grands. Il aimait son métier, précisément pour la diversité et la liberté qu’il lui procurait.
Fils d’un ouvrier ukrainien immigré en France, Pierre Tcherniakowski était le dernier d’une fratrie de quatre enfants. Il a grandi à Courbevoie et s’est découvert précocement une passion pour le 7e art au cinéma de son quartier. Il était âgé de douze ans lorsqu’il fut bouleversé en 1940 par La Chevauchée fantastique de John Ford. Après son baccalauréat, il s’inscrivit donc à l’École technique des métiers du cinéma et de la photographie. Il obtint une note éliminatoire en sensitométrie mais parvint à intégrer en deuxième année l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC, actuellement la FEMIS). Sa promotion comptait Claude Sautet et Alexandre Tarta.
De la radio à la télévision
En 1947, Pierre Tchernia fit ses débuts radiophoniques au Club d’essai, dirigé par Jean Tardieu. Pour l’avoir écouté dans « Un mauvais quart d’heure à passer », Pierre Sabbagh à la recherche de collaborateurs le recruta pour le journal télévisé. Il s’agissait de commenter des images muettes, en 16 mm, pour quelques milliers de téléspectateurs. Le jeune reporteur couvrit les Salons de l’auto et des arts ménagers. Il célébra l’arrivée du printemps et la Saint-Valentin. Durant les quinze premières années qu’il passa à la télévision, soit jusqu’à l’apparition de la deuxième chaîne, Pierre Tchernia se démultiplia : micro-trottoir, magazines de santé, émissions de variétés. Lorsque le direct fut inventé, Pierre Tchernia réalisa, à partir de 1956, des grands reportages d’un puits de mine à Lens, chez un paysan, en haut d’un phare, dans l’express Paris-Lille. « De la pure télévision », « la télévision dont on avait envie », disait-il. Il anima également la toute première émission en couleur, « Arc-en-ciel », consacré à un régiment de parachutistes.
Il collabora ensuite à « L’Arroseur arrosé », « Cinq colonnes à la “une” ». Il remplaça Jean Nohain à « 36 chandelles » et succéda, en 1965, à Gilles Margaritis à « La Piste aux étoiles ». La même année, il conçut avec ses compères, Robert Rocca et Jacques Grello, la première émission d’actualités satirique. Dans « La Boîte à sel », apparurent les jeunes Poiret et Serrault, Raymond Devos et Philippe Noiret. C’était le dimanche à l’heure du déjeuner en direct des Buttes-Chaumont. Trop impertinent pour le ministère de l’information de l’époque qui exigea de lire les textes à l’avance. L’équipe refusa et décida d’arrêter plutôt que de se plier à la censure. Période d’audace et d’enthousiasme : « Ce fut une époque assez extraordinaire car tout le monde était accro : le public pour voir, nous pour donner à voir. Tous enfants de l’école communale de la IIIe République, nous étions des instituteurs souriants », écrit-il dans ses mémoires publiées en 2003.
Avec lui, on découvrit les joies du cirque, les productions de Walt Disney, la série télévisée Zorro. Pierre Tchernia aimait Tex Avery et les feux d’artifice, le music-hall et les bons mots. « On ne peut, fût-ce en forçant sa vilaine nature, ne pas aimer Pierre Tchernia car c’est un homme – que dis-je, c’est un homme, c’est un enfant –, un enfant dont le passe-temps consiste avant tout à nous faire partager ses plaisirs, ses goûts, ses amitiés », écrivait le dialoguiste Henri Jeanson dans l’Aurore le 24 décembre 1968. Il ajoutait : « De l’enfant il a la candeur, les illusions et les rêves. Il croit encore au Père Noël. Pour y croire, il lui suffit de se regarder dans sa glace. »
Amour du grand et du petit écran
Il sut rendre contagieux son amour du cinéma et ce dès 1949, grâce à la série d’émissions « Les Rois de la nuit ». Créé à l’initiative du dirigeant du Centre national de la cinématographie (CNC) pour remédier à la désaffection des spectateurs, il anima durant plus de vingt ans « Monsieur cinéma » (1966-1988), qui mêlait extraits de films, interviews et jeux. Sur son plateau défilèrent tous les acteurs et metteurs en scène français. Juste retour des choses : l’émission apparaît dans une scène de La Nuit américaine de François Truffaut. Lui succéderont « Jeudi cinéma » et « Mardi cinéma ».
« J’appartiens à cette génération qui a fait de la télévision parce que le cinéma ne nous ouvrait pas ses portes. Et en faisant de la télévision, nous ne savions pas que nous allions faire du mal à ce cinéma que nous aimions tant. (…) La télé lui a volé suffisamment de spectateurs pour qu’on tente de lui en rendre un peu », racontera Pierre Tchernia en mai 1987. Comme Patrick Brion, Claude-Jean-Philippe, Alain Bévérini et Henry Chapier, il parvint à concilier son amour du grand et petit écran, assurant la promotion du premier par le second. Il présenta le Festival de Cannes et la cérémonie des Césars pendant plusieurs années.
« Magic Tchernia »
Très populaire auprès des téléspectateurs, Pierre Tchernia érigea l’amitié en vertu cardinale. Il s’honora de l’affection de Lino Ventura et de René Goscinny qui caricatura sa silhouette d’imperator d’1,87 mètre dans cinq albums d’Astérix. Pour son ami, l’homme de troupe des Branquignols et cinéaste Robert Dhéry, Tchernia écrivit les scénarios de La Belle Américaine et d’Allez France ! Passé à la réalisation, cet amoureux du cinéma fit tourner son vieux complice de cabaret, Michel Serrault, dans ses quatre longs-métrages, des comédies sociales au ton bienveillant. Ces histoires de double ou de dédoublement déréglées par le burlesque, ces conflits domestiques réunissant la fine fleur du cinéma français, rencontrèrent un joli succès. Dans Le Monde, Jean de Baroncelli qualifia Le Viager de « film noir teinté en rose ».
Pour le petit écran, Pierre Tchernia signa des adaptations réussies de Marcel Aymé, un de ses auteurs de prédilection. A partir des années 1980, il ne reconnaissait plus la télévision qu’il avait tant aimée. L’obsession de l’audimat l’enlaidissait. Trop d’argent. Pas assez de direct. Pierre Tchernia détestait le zapping. « Le plus beau programme, c’est le Tour de France », estimait-il. Les jeunes générations découvrirent cet homme affable qui avait bercé l’enfance de leurs parents grâce aux « Enfants de la télé » sur TF1 où, à partir de 1994, il présentait des archives du petit écran. Une deuxième jeunesse s’offrit à ce doyen respecté que l’animateur Arthur surnommait « Magic Tchernia ». En 2002, celui-ci renoua avec ses débuts d’acteur en interprétant le rôle du centurion et narrateur Caius Gaspachoandalus dans Astérix et Obélix, mission Cléopâtre d’Alain Chabat. Le légionnaire portait beau son quintal. Pierre Tchernia s’était retiré en 2006.
Macha Séry
Journaliste au Monde
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