............................Mort d'Edmond Simeoni, patriarche du nationalisme Corse..............................
Le patriarche est décédé. Edmond Simeoni, figure de l'autonomisme corse, est mort à l'âge de 84 ans. En décembre 2017, la liste "Pè a Corsica" ("Pour la Corse"), menée par son fils Gilles, avait obtenu une victoire historique en recueillant près de 57% des voix aux élections territoriales.
Il est le père fondateur des mouvements nationalistes corses pour avoir mené en 1975 l’occupation des caves d’Aléria, en protestation contre des fraudes viticoles sur l’île.
Le soir de la victoire de la liste (autonomiste) de son fils, en décembre 2017, Edmond Simeoni s'était réjouit: "Pas un coup de feu n’a été tiré, ni à Ajaccio ni à Bastia", avait-il insisté. Devenu profondément pacifiste, il avait publiquement regretté la mort de deux gendarmes mobiles lors de l’occupation d’Aléria.
Edmond Simeoni s'était réjouit de cette victoire dans les urnes du nationalisme, mais l'homme restait insatisfait. "Tellement reste à faire" avait-il tout de suite nuancé. Comme ouvrir le dialogue avec l’Etat, pour enfin faire accéder le peuple corse à une réelle autonomie. "Je ne suis pas en faveur de l’indépendance, mais d’une autonomie dans le cadre de la République" avait-il alors détaillé .
Lorsque "L'Obs" l'a rencontré en décembre 2017, la table de son bureau était comme toujours couverte de courriers, certains écrits à la main, de notes, de cartes de visite. Dans le salon, son épouse, Lucie, répondait au téléphone. Il s’investissait encore dans des associations et consacrait une partie de ses journées à alimenter son blog et ses différents profils sur les réseaux sociaux. Les yeux bleus brillants, il racontait :
"J’ai découvert Twitter lors du troisième procès Colonna de 2011. Comme je ne pouvais pas être tout le temps dans la salle, une journaliste m’a montré comment m’en servir pour ne rien manquer. Aujourd’hui, je suis aussi sur LinkedIn, WhatsApp, Facebook. Je peux toucher 15.000 personnes."
Début décembre encore, il y partageait encore ses réflexions ou annonçait des manifestations.
"Edmond, choisis : le fusil ou la canne à pêche"
L'histoire d'Edmond Simeoni, c'est d'abord celle d'un jeune Corse, parti faire ses études sur le continent. Marseille, début des années 1960. Edmond milite alors devant des banquettes vides. Jeune étudiant en médecine, il s’insurge contre ce projet fou d’essais nucléaires dans le massif de l’Argentella, près de Calvi, et crée une association d’étudiants corses. Son premier combat. Il en profite pour déboulonner les idoles que lui a léguées sa famille. De Gaulle. L’armée. La patrie.
"Comme tous les gens fauchés, j’étais conservateur."
A Marseille, il rencontre Lucie, militante communiste, alsacienne par son père, juive polonaise par sa mère. L’amour de sa vie. Devenue corse, Lucie accompagnera son mari dans toutes ses luttes pendant un demi-siècle. Quand le couple regagne l’île en 1965, Edmond est nationaliste. Dans son cabinet médical de Bastia, des jeunes séduits par le mouvement naissant viennent rencontrer ce docteur charismatique. Jacques Fieschi est de ceux-là. "C’est ma mère qui m’a conseillé d’aller voir Edmond", se rappelle le militant, âgé aujourd’hui de 70 ans, qui nous avait donné rendez-vous devant la cheminée de l’Auberge du Col Saint-Georges, située dans les montagnes au-dessus d’Ajaccio.
"Au début des années 1970, j’avais une vingtaine d’années et je commençais à prendre conscience des injustices subies par le peuple corse. Ma mère pensait peut-être qu’Edmond me calmerait ; c’est le contraire qui s’est produit.""
Le "Dr Simeoni" parle alors de colonie pour désigner son île. Fustige l’Etat français, responsable de la situation déplorable de l’économie insulaire, et méprisant envers son peuple. "Converti", Jacques Fieschi manifeste contre le déversement au large du cap Corse de déchets toxiques. On est en 1973. C’est le scandale des boues rouges. Les militants nationalistes envahissent alors le bureau du sous-préfet de Bastia. "Je me souviens d’Edmond, debout sur le bureau, tentant de calmer les manifestants, raconte Jean-Claude Rogliano, qui avait alors 30 ans et faisait partie des insurgés. Sans lui, le sous-préfet aurait fini en miettes."
Edmond écope de dix-sept jours de prison. Jacques Fieschi fera ensuite partie des douze membres du commando d’Aléria. L’opération se soldera par la mort de deux gendarmes après l’envoi de 2.000 hommes par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Michel Poniatowski. "Quand il a su qu’il y avait des morts, il nous a dit : 'On arrête'", se rappelle Jacques Fieschi.
"Edmond était un vrai chef, charismatique, nous l’écoutions. Puis il a pris ses responsabilités et a fait de la prison pour nous.
Les autres du commando, nous y avons tous échappé."
L’aversion d’Edmond Simeoni pour la violence, même s’il l’a jugée un temps nécessaire, lui sera longtemps reprochée sur une île où ne pas aimer les armes peut vite devenir un défaut. "Edmond, choisis : le fusil ou la canne à pêche", pouvait-on lire sur le siège de l’Action régionaliste corse (ARC), son mouvement, fondé en 1970. Plus tard, il ne cautionnera pas les violences du Front de libération nationale corse (FLNC), même s’il ne cesse de soutenir la cause.
Le mythe d'Aléria:
Aléria. Une légende. Un mythe. Gilles Simeoni, alors petit garçon âgé de 8 ans, se souvient de longues nuits d’angoisse.
""J’étais chez une de mes tantes. Je ne sais pas pourquoi, je regardais déjà tous les journaux. Je me souviens parfaitement d’avoir lu, après les événements d’Aléria, que mon père risquait deux fois la peine de mort et une fois une peine de perpétuité.""
Avec pudeur, Gilles conclut qu’il a grandi dans un climat "anxiogène". Il se souvient des visites au parloir de la prison de la Santé, où son père est emprisonné dix-huit mois. Il se souvient aussi de Lucie entassant les grands sacs de sable devant la porte de la maison pour atténuer le souffle en cas de plastiquage. "Il y avait deux gros boudins et deux petits", précise Gilles. Vingt ans plus tard, quand Me Simeoni rend visite à un client à la prison de la Santé, il réalise "que cette odeur, dans le parloir, c’est l’odeur de mon enfance. La madeleine de Proust".
Le futur avocat d’Yvan Colonna n’a peut-être pas fait des études de droit par hasard, finalement. La politique, en revanche, il a cru pouvoir y échapper.
"Je ne voulais pas imposer à ma famille, à mes trois enfants, ce que j’ai vécu. Mais j’ai été rattrapé par une histoire collective, et personnelle. J’aime à croire que la politique est une parenthèse dans ma vie.""
Pour les vieux militants nationalistes, le père et le fils ont peu de points communs. "Edmond est un révolutionnaire, juge par exemple Jacques Fieschi. Gilles a su prendre le relais, mais il est arrivé 'a casa fatta', comme on dit chez nous. La maison était faite grâce à nos cinquante ans de lutte. Aujourd’hui, il est notre bête politique, et nous en avons besoin." Jean-Guy Talamoni, indépendantiste plus radical qui a été élu aux côtés du père puis du fils, évoque des caractères très différents : "Edmond est un impulsif, et d’ailleurs il l’est toujours aujourd’hui. Il peut tenir des propos fermes, virulents. Quand il parlait, faisait un discours, c’était saisissant. Tout le monde se taisait. Gilles aussi est un très bon orateur, mais dans un autre style. Il réfléchit longtemps avant de prendre des décisions." Jean-Guy Talamoni, toujours aujourd’hui, discute souvent avec Edmond. "Son avis m’intéresse", dit-il.
Corse : "Les nuits bleues, la violence, c'est fini. Nous voulons avancer"
Gilles, lui, confesse une grande admiration pour son père. "Je ne lui demande pas de conseils, mais il m’en donne quand même, raconte-t-il. Mais, depuis que je suis à Ajaccio, depuis deux ans, je n’ai dû le voir qu’une dizaine de fois. J’aimerais le voir plus, mais chaque fois il me rend fou. 'Vous devriez avancer sur ça et ça... vous n’allez pas assez vite.'" Le ton est affectueux. Celui d’Edmond reste plus solennel. Il jure par exemple qu’il n’a pas embrigadé son fils. "On ne peut pas militer pour le libre arbitre et imposer quoi que ce soit à ses enfants."
On comprend également que père et fils ont toujours refusé de donner prise à toute critique de dynastie, de clanisme. Les deux hommes ne se donnent jamais en spectacle, publiquement. Jusqu’à la fin de la campagne, Edmond a assisté aux meetings de son fils depuis la salle, comme un simple militant. Le soir de la victoire, il est également resté à Ajaccio pour ne pas embêter son fils, "très bien entouré", et qui "avait beaucoup de choses à faire". Gilles, lui, était à Bastia.
Source:L'Obs.