Didier Raoult a partagé sur Twitter des cartes montrant un faible nombre d'hospitalisations et de décès dans les Bouches-du-Rhône. Des données qui ont été interprétées hâtivement par certains internautes.
Bonjour,
Le titre de cet article reformule de nombreuses questions sur le même thème reçues depuis le 30 mars par Checknews.
Un nombre important de questions similaires nous est parvenu suite à la diffusion par Didier Raoult, sur son compte Twitter, de trois cartes de France représentant les hospitalisations, les admissions en réanimation et le nombre absolu de décès liés à Covid-19.
Didier Raoult
✔
@raoult_didier
Cartes des hospitalisations, des décès et de l'utilisation des capacités de réanimation par département en France, dans le cadre de l'épidémie à COVID-19.
Source :
https://mapthenews.maps.arcgis.com/apps ... 43e14a548c …
Données Santé Publique France
On constate sur ces cartes que le département des Bouches-du-Rhône, où officie le médiatique chercheur, se distingue par un nombre encore faible de décès et d’hospitalisations. Il compte également parmi les départements dans lesquels les services de réanimation ne sont pas encore saturés.
Sur les réseaux sociaux, de très nombreux commentaires infèrent de ces cartes que les stratégies thérapeutiques décidées par les établissements du département sont particulièrement efficaces. Certains avancent même que l’on tient ici la preuve que la méthode de l’IHU Marseille – administrer d’hydroxychloroquine à tous les patients testés Covid+ qui le souhaitent – porte ses fruits.
Pourtant, il est impossible de tirer de telles conclusions.
Propagation de l’épidémie et proportion croissante de cas graves
Le nombre de personnes hospitalisées, en réanimation ou décédées, dans les différents départements, reflète avant toute chose l’historique de la propagation de l’épidémie. On ne peut comparer la situation dans le Grand-Est, violemment frappé par l’épidémie depuis de nombreuses semaines, à d’autres régions touchées plus modérément et plus tardivement. Les premiers décès dans les Bouches-du-Rhône ne remontent en effet qu’au 24 mars.
Pour les mêmes raisons, le taux de décès des personnes hospitalisées n’est pas nécessairement un indicateur pertinent de la qualité du suivi des patients.
Les hôpitaux du Grand Est – pour prendre l’exemple de la région la plus durement touchée – qui accueillaient initialement des cas modérés à sévère, se sont rapidement trouvés saturés. Concentrant progressivement les cas graves, il est logique que les taux de décès y soient désormais plus élevés que dans des régions où les hôpitaux accueillent encore des patients Covid+ moins atteints, ou à plus faible risque.
C’est particulièrement vrai dans le cas particulier de l’IHU de Marseille, qui revendique le recensement et la prise en charge de tous les patients détectés porteurs du coronavirus. Cette approche va nécessairement « diluer » les statistiques, en créant une surreprésentation du nombre de patients chez qui les symptômes sont les plus modérés, et dont l’état pourrait s’améliorer sans soin.
Notons qu’à l’heure où nous écrivons, le taux de décès des personnes hospitalisées dans les Bouches-du-Rhône est inférieur à celui de 85 % des autres départements de la métropole. Toutefois, plus d’une dizaine de départements, parmi lesquels les Hautes-Alpes, la Haute-Corse, la Haute-Garonne ou les Ardennes, sont dans une meilleure situation… sans qu’il soit possible d’imputer ce meilleur classement à des stratégies spécifiques ou des approches thérapeutiques particulières.
L’IHU estime avoir simplement «porté des données dans le débat»
Contacté par CheckNews, l’IHU de Marseille explique s’être borné à «diffuser des données». «Si nous avions souhaité commenter ces cartes, nous les aurions commentées. Il nous semblait que c’était une information pertinente. Après, libre à chacun de les lire [et de les interpréter].»
«En tant qu’institution, porter des données dans le débat, c’est important. Après, un avis, une interprétation… c’est le métier des journalistes de chercher les éléments qui peuvent expliquer ceci ou cela. On considère que les gens sont suffisamment intelligents pour travailler avec des données, de les regarder, [de faire des] articles pour décrypter, pour apporter des éléments de compréhension supplémentaires, comme ceux que vous avez cités.»
En résumé
Au vu des données actuellement disponibles, il est impossible de savoir si l’épidémie de Covid-19 est jugulée de façon plus efficace dans les Bouches-du-Rhône qu’ailleurs en France. Seule une étude de grande envergure, qui tiendrait compte du profil des patients pris en charge (âge, facteurs de risque, gravité des symptômes à l’admission…) permettrait de répondre sérieusement à cette question.