jabar a écrit : ↑16 février 2021 21:02Voici un passage de Fanon dans "L'an V de la révolution algérienne". A lire pour comprendre pourquoi le thème du colonialisme n'est jamais vraiment mort en France et pourquoi les musulmans opposeront toujours une fin de non-recevoir à ces tentatives d'uniformisation et de soumission. Ils n'ont pas réussi avec les armes.
Cette volonté de dévoiler la femme, la rendre accessible pour soi, et éloigner le musulman. Ce n'est pas de la générosité "libératrice", mais quelque chose de plus atavique.L’administration coloniale peut alors définir une doctrine politique précise : « Si nous voulons frapper la société algérienne dans sa contexture, dans ses facultés de résistance, il nous faut d’abord conquérir les femmes ; il faut que nous allions les chercher derrière le voile où elles se dissimulent et dans les maisons où l’homme les cache. » C’est la situation de la femme qui sera alors prise comme thème d’action. L’administration dominante veut défendre solennellement la femme humiliée, mise à l’écart, cloîtrée... On décrit les possibilités immenses de la femme, malheureusement transformée par l’homme algérien en objet inerte, démonétisé, voire déshumanisé. Le comportement de l’Algérien est dénoncé très fermement et assimilé à des survivances moyenâgeuses et barbares. Avec une science infinie, la mise en place d’un réquisitoire-type contre l’Algérien sadique et vampire dans son attitude avec les femmes, est entreprise et menée à bien. L’occupant amasse autour de la vie familiale de l’Algérien tout un ensemble de jugements, d’appréciations, de considérants, multiplie les anecdotes et les exemples édifiants, tentant ainsi d’enfermer l’Algérien dans un cercle de culpabilité.
Ce que dit Fanon dans son ouvrage est tellement évocateur de l'état d'esprit de certains français.Mais également il y a chez l’Européen cristallisation d’une agressivité, mise en tension d’une violence en face de la femme algérienne. Dévoiler cette femme, c’est mettre en évidence la beauté, c’est mettre à nu son secret, briser sa résistance, la faire disponible pour l’aventure. Cacher le visage, c’est aussi dissimuler un secret, c’est faire exister un monde du mystère et du caché. Confusément, l’Européen vit à un niveau fort complexe sa relation avec la femme algérienne. Volonté de mettre cette femme à portée de soi, d’en faire un éventuel objet de possession.
Il faut rappeler que Fanon n'a connu que la colonisation, qu' il est mort avec elle et que ces passages ont été écrits dans la passion du combat.
Si je me fie à la littérature coloniale, où la femme algérienne est davantage l'objet d'indifférence que de fantasmes, je trouve cette spéculation dans le subconscient du colon pas très convaincante, mais bon, Fanon était psychiatre.
Plus simplement, on peut penser que dans l'esprit colonial, le thème de la femme cloîtrée n'avait d'autre but que de parfaire sa caricature de l'Algérien en bédouin barbare.
''Cacher le visage, c’est aussi dissimuler un secret, c’est faire exister un monde du mystère et du caché.''
Pourquoi se cacher derrière ce genre de formules éthérées, au lieu d'admettre tout simplement que cette dissimulation n'a d'autre but que d'échapper à la convoitise des hommes, considérés d'emblée comme des êtres peu civilisés et soumis à leurs instincts ?