La médecine ne relève pas d’un coup de poker
Lors de la crise sanitaire liée à la Covid-19, certains veulent faire croire que l’intuition ou le « bon sens » médical seraient suffisants pour décider de l’efficacité et de la sécurité d’un traitement. Ils déclarent être les tenants d’une « éthique du traitement » qui serait opposée à une « éthique de la recherche ». Surfant sur la vague de la désinformation et persuadés de l’adhésion de la population, ils proposent même des « sondages » pour appuyer leurs hypothèses médicales, comme si la décision médicale pouvait être un quizz géant, auquel n’importe qui pourrait participer.
Nous, médecins et soignants, qui depuis plusieurs mois, travaillons sans relâche à soigner les malades qui nous sont confiés, à leur procurer les meilleurs traitements dont nous disposons, à les soutenir humainement et médicalement, nous, chercheurs, qui travaillons sans cesse à mieux comprendre la Covid-19, à en définir les facteurs de risque et l’évolution et à trouver, parmi les pistes thérapeutiques les médicaments qui auront le plus d’efficacité et de sécurité pour soigner cette maladie, nous associations de malades qui nous efforçons d’apporter l’information la plus juste et rigoureuse sur cette épidémie à celles et ceux avec qui nous agissons, estimons qu’il est de notre devoir de réagir à ces propos.
Il nous semble tout d’abord essentiel de rappeler certains éléments sur la Covid-19 :
- Face à cette maladie émergente, que nous ne connaissions pas il y a quelques mois, il n’y a pas de façon évidente « un traitement qui marche ». Les données actuelles de la médecine et de la science ne permettent toujours pas de savoir quels médicaments sont efficaces et à quel stade de la maladie. Il serait actuellement faux de prétendre le contraire.
- De nombreux médicaments candidats sont présentés à la communauté scientifique et médicale et leur évaluation rigoureuse est indispensable afin de savoir s’ils sont bénéfiques ou délétères pour les patients. Il est irresponsable dans la situation actuelle de se concentrer sur un seul « protocole » proposé sur la base d’études bâclées et d’une simple croyance, aussi bruyamment martelée et assénée soit-elle.
- Même s’il n’y a pas de médicament efficace connu à ce jour, nous prenons bien sûr en charge les patients depuis le début de l’épidémie. Cette prise en charge associe le traitement des symptômes, l’hospitalisation quand elle est nécessaire, le support respiratoire pour les patients qui en ont besoin, la prévention des complications thromboemboliques, la surveillance et le suivi pour n’en citer que quelques éléments. De plus, nous proposons aux patients les stratégies thérapeutiques les plus prometteuses tout en les associant à une démarche scientifique d’évaluation. Ces stratégies sont proposées soit dans le cadre d’essais cliniques, soit en dehors d’essais cliniques pour les patients qui ne peuvent pas ou ne veulent pas y participer.
Toute personne qui a quelques connaissances de l’histoire de la médecine sait combien il est dangereux de se fier aveuglement à l’intuition ou au « bon sens médical » quand il s’agit de tester l’efficacité et la sécurité d’un médicament.
Les exemples ne manquent pas où l’on était persuadé de l’efficacité d’un médicament jusqu’au jour où une évaluation rigoureuse a montré que ce médicament était plus délétère que bénéfique.
Par conséquent, si des médecins ou des chercheurs pensent avoir trouvé le remède miracle qui va stopper de manière « spectaculaire » une maladie, il est de leur devoir de tout faire pour convaincre la communauté médicale de la nécessité de donner ce traitement aux patients. Ainsi leur premier objectif doit être de proposer une étude suffisamment rigoureuse pour que toute équipe médicale dans le monde puisse donner ce traitement en toute confiance, sans transformer la décision médicale en un coup de poker. Cet objectif ne peut être rempli qu’en associant recherche clinique et soins et il est faux, dangereux et contre-productif d’opposer l’intuition médicale ou « éthique du traitement » et la démarche de recherche clinique ou « éthique de la recherche ».
En effet, il n’y a, en médecine, qu’une seule éthique, rassemblant soin et recherche, et à laquelle nous adhérons pleinement : celle qui, conformément au serment d’Hippocrate, consiste à employer tous les moyens dont nous disposons pour « rétablir, préserver ou promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux ».
Pour nous, médecins, soignants et/ou chercheurs, un seul choix s’est imposé face à l’urgence sanitaire, celui de mettre toute notre énergie, non pas à communiquer à tout va des résultats peu fiables et collectés dans la précipitation, mais à concilier en un même geste trois éléments essentiels à la médecine :
- premièrement, soigner le plus efficacement et le plus humblement possible en s’appuyant sur les données actualisées de la science et de la médecine ;
- deuxièmement et simultanément participer à la recherche clinique pour essayer de trouver un traitement qui puisse être efficace contre la Covid-19, en publiant dès que possible les résultats de nos recherches dans des journaux scientifiques fiables afin d’en faire bénéficier l’ensemble de la communauté ;
- et troisièmement, ne jamais risquer la vie des malades avec des traitements qui pourraient avoir plus d’effets indésirables graves que d’effets bénéfiques.
Nous, médecins, soignants et/ou chercheurs, n’oublions jamais ces mots du serment d’Hippocrate : « j’informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance et n’exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences. ». Nous devons répondre à cette exigence en fournissant aux concitoyens un éclairage rationnel, mesuré, argumenté, compréhensible et humble, comme l’exprime l’article 13 du code de déontologie médicale :
« Lorsque le médecin participe à une action d’information du public de caractère éducatif et sanitaire, quel qu’en soit le moyen de diffusion, il doit ne faire état que de données confirmées, faire preuve de prudence et avoir le souci des répercussions de ses propos auprès du public ».
Premières associations signataires
(liste complète sur le site de la tribune)
SPILF (Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française), Pierre Tattevin (Président)
RéJIF (Réseau des Jeunes Infectiologues), Nathan Peiffer-Smadja (Coordinateur)
CMIT (Collège des Universitaires des Maladies Infectieuses et Tropicales), Albert Sotto (Président)
Conseil National Professionnel des Maladies Infectieuses et Tropicales (CNP MIT), France Roblot (Présidente)
ANRS (France REcherche Nord & Sud Sida-hiv Hépatites), François Dabis (Directeur)
ANEPC (Association Nationale des Enseignants de Pharmacie Clinique), Pierrick Bedouch (Président)
Fédération Française de Neurologie, François Sellal (Président)
Collège Méditerranéen des Généralistes Maîtres de Stage (CMGMDS), Olivier Guercia
UNAFORMEC (Union Nationale des Associations de Formation Médicale Continue), Françis Abramovici (Président)
SFDRMG (Société Française de documentation et Recherche en Médecine Générale), Yves Le Noc (Président)
ADMSU (Association pour le Développement de la Médecine et des Soins d’Urgence), Pierre-Marie Roy
RENARCI (Réseau National de Recherche Clinique en Infectiologie), Marion Noret (Cheffe de projet)
ReAGJIR (Regroupement Autonome des Généralistes Jeunes Installés et Remplaçants), Laure Dominjon (Présidente)
ReJMIC (Réseau des Jeunes Microbiologistes Cliniques), Sarah Dellière (Coordinatrice)
SNIN (Syndicat national des Internes de Néphrologie), Valentin Maisons (Président)
CPIAS Pays de la Loire, Gabriel Birgand (Responsable)
Avenir Jeunes Pharmaciens Hospitaliers, Jérémie Zerbit (Président)
Cercle Réunionnais d’Infectiologie, Rodolphe Manaquin (Président)
Société de Gériatrie et Gérontologie de l’Île de la Réunion (SGGIR), Jean-Marc Eychène (Président)
Collectif FakeMed, Cyril Vidal (Président)